Quelle est la réalité occultée derrière les certifications de l’artiste marseillais Jul ?
On l’appelle l’ovni ou encore le J, Jul est aujourd’hui l’un des artistes les plus certifiés de ces quinze dernières années. À l’échelle du territoire français, il est le plus gros vendeur de disques de l’histoire derrière Johnny Halliday. Mais si le marseillais impose son statut d’or et de platine par ses chiffres et ses certifications, qu’en est-il vraiment de son succès d’estime ?
Une identité marseillaise
L’ère d’IAM, de la Fonky Family et des Psy4 de la rime est révolue, mais leur héritage perdure au travers de ceux qui forment la relève. Depuis l’École du Micro d’Argent (1997), de l’encre a noirci les cahiers de toute une génération de rappeurs. Petit Frère a résonné dans les oreilles de ceux qui font partie aujourd’hui des grands du rap français. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le rap a bien changé dans les Bouches du Rhône. Sch, Kofs, Soso Maness, Alonzo et leur porte-drapeau Jul sont entre autres ceux qui font aujourd’hui raisonner le son de Marseille.
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Nous pouvons avancer sans trop de risques que les seize mesures d’Akhenaton et Shuriken ont certainement inspirés les rappeurs de cette nouvelle ère marseillaise. On a notamment pu entendre Sch déclarer au micro de Mehdi Maizi qu’il s’était construit culturellement grâce à des projets comme Art de Rue de la Fonky Family. Ce qui n’est pas pour nous surprendre à l’écoute de LIF, second track de l’album Autoban révélé par le S en novembre dernier. Soso Maness dans son dernier projet À l’aube nous confirme qu’il existe bien un héritage du « rap marseillais », avec des titres comme Peine de Mort ou À l’aube en collaboration avec Dinos. Mais force est de constater, que la musique de celui qui prône haut et fort les couleurs de la ville se trouve à mille lieues de ces sonorités « Boum Bap » sur lesquelles ont rappé les pionniers cités plus tôt.
Jul, la clé d’un succès populaire
Un son dansant, une empreinte sonore électronique dans une ambiance club teintée par des textes qui racontent la rue. Ce sont là quelques ingrédients de la recette Jul. Un style si singulier et propre à lui qu’il est nommé par certains le « Type Jul ». Il sait faire de ses refrains une arme des plus efficaces avec des formules qui restent définitivement gravées dans la tête. On pense par exemple au tube Wesh alors, rengaine incontournable scandée dans les quartiers de France comme sur les bancs de l’école jusqu’en boite de nuit. Quant aux couplets tantôt rappés tantôt chantés, ce ne sont pas la profondeur des textes de Jul que nous retiendrons, mais plutôt son parler et ses expressions typiquement marseillaises. Le J représente fièrement la rue et les quartiers de France, chose grâce à laquelle il finit par conquérir les cœurs de la jeunesse issue des quartiers populaires.
Rap ou Pop urbaine, le reflet d’un amalgame social
Plus personne ne peut le nier, le rap est le genre musical qui domine en France. Pour être plus précis, le rap et la musique de ceux qui font du rap ou en sont affiliés culturellement et socialement parlant. Il serait dénigrant de réduire une proposition musicale si vaste à un seul genre musical quand les plus gros hits de ces cinq dernières années naissent du RnB, du funk, de la house, de l’afrobeat, du zouk ou du Kompa. Hamza et Sch nous offraient l’été dernier le tube de l’été dans un style house avec Fade Up et cela ne fait pas d’eux moins des rappeurs. Même cas de figure pour Naza et Niska sur du zouk avec Jolie Bébé en 2020. Bien que se permettant d’explorer différents horizons, les artistes cités juste avant s’inscrivent tous artistiquement dans un courant rap de manière prédominante (exception faite pour Naza). Si l’on se réfère à leur dernier projet en date respectif (Sincèrement, Autoban, Le monde est méchant), rien ne permet de contester cette dernière affirmation. Pour ce qui est de notre J national, la tendance tend à pencher dans le sens inverse. Ici, nous n’évoquons pas le nombre de titres fondamentalement rap qu’a pu interpréter Jul, mais plutôt ses succès à grande échelle. Comme le parfait ovni qu’il est, le natif de Marseille s’est imposé dans le paysage avec un style presque impossible à définir tant il lui est propre. Pourtant sa musique sera vite qualifiée comme « Rap » par l’industrie musicale quand bien même ses premiers hits Sort le cross volé et Dans ma paranoïa nous dévoilaient un mélange de dance, de funk et de musique électronique. Il aura également l’occasion de réaliser une flopée de tubes dans des styles aux influences plutôt latines comme Tchikita ou encore Ma jolie. On a ici à faire à l’exemple parfait d’une catégorisation systématique de l’industrie qui dessert non seulement l’artiste, mais aussi la musique dans un sens général. Peu importe sa musique, un artiste dont l’identité est perçue comme « urbaine » se verra souvent identifié comme rappeur. Dadju, Franglish, Tiakola et même Aya Nakamura sont des personnalités qui subissent ce même type d’amalgame aux vues de leurs apparences.
À qui la couronne du rap français ?
Parmi les nombreux débats ou classements qui épiloguent autour d’une liste des meilleurs rappeurs, Jul n’apparait que rarement dans les classements. Il y a quelques mois de cela, Booba dévoilait dans les pages du Parisien les cinq rappeurs les plus talentueux du moment selon lui. Orelsan, VALD, Gazo, Ninho et PNL sont ceux qui se sont vu attribuer les grâces du DUC. Quant au Youtubeur et rappeur Mister V, ce dernier citait dans une vidéo les noms de Booba, Damso et Nefkeu dans son Top 3. Même la fameuse IA générative Chat GPT révélait son classement des meilleurs rappeurs francophones, ne faisant toujours pas figurer Jul dans sa liste. Si les chiffres placent le J au sommet des classements « rap », il est tout de même difficile d’opposer ses performances à celles d’artistes qui excellent par leurs qualités techniques dans la discipline. Cela revient même à un nom sens de confronter Nekfeu, Gazo, Ninho ou Rohff à un ovni comme Jul qui se distingue dans un courant différent de ces derniers.
Piégé dans le « rap game »
Le débat demeure tout de même ouvert quant à la question de ce qui définit un rappeur et les critères qui permettent d’établir une hiérarchie. Comme toute œuvre musicale, le rap reste un art subjectif. Il rassemble des auditeurs autour d’une passion commune pour ce que caractérise cette musique. Malgré son évolution à travers le monde et le temps, le rap porte encore des codes qui permettent de l’identifier en tant que style légitime. Tempo, rythmique, sonorité, texte permettent à Spotify, Deezer et consort de différencier cette musique du reggaeton, de l’afrobeat ou de la K-pop. Malheureusement la fameuse case dite « urbaine » qui renferme les hits de la classe populaire qu’ils soient rnb, dance ou zouk crée le malentendu. Lorsque ces tubes sont interprétés par des artistes issues des quartiers, du Maghreb ou des Antilles, l’industrie musicale choisie le raccourcit quitte à desservir la musique.
Le « Type Jul » se rapproche-t-il plus du rap que de la dance ? Jul n’aurait-il pas plus de légitimité en tant que « Boss » du style musical dont il est à l’initiative ? Alors que ce dernier vient encore de battre un record avec 8 millions d’auditeurs sur le mois de mai, le J, l’ovni, la machine ne sera certainement jamais identifié comme le meilleur rappeur français.