Carnaval : que représente le “Mas” dans le patrimoine guadeloupéen ?

Carnaval : que représente le “Mas” dans le patrimoine guadeloupéen ?

La culture africaine sous l’esclavage et la colonisation s’est transformée en puissante et immense espace de résistance. Ces traditions, muées en bouclier face à l’oppression, a été utilisées par ses porteurs pour se préserver physiquement, mentalement et, par effet de conséquence, pour développer des formes d’expressions tels que le Mas.

« Les populations, originaires d’Afrique, transférées dans le Nouveau Monde emportaient dans leur mémoire des supports essentiels : le souvenir des dieux, des mythes, des rites, des rythmes, des contes, des légendes, des proverbes, des chants, des danses, des sculptures, vecteurs fondamentaux de leur pensée religieuse et qui trouvèrent dans des repères profanes, dont celui carnavalesque, un lieu de survivance. »

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Reconquête de soi et de sa destinée

Afin de contourner les interdictions imposées par les esclavagistes en raison de leurs pratiques religieuses, les hommes et les femmes déportés vont se vêtir des attributs de leurs Divinités. « Ils deviennent leurs propres Dieux qui déambulent dans les rues les jours du carnaval, tout en faisant croire aux maîtres qu’ils participaient au carnaval. En fait, ils pratiquaient leurs célébrations mystiques et animistes. »

Comme le Kaléta, le carnaval en Guadeloupe a été dans son évolution un moyen pour les colonisés de dénoncer leur sort aux yeux de l’oppresseur et exposer « les symboles de l’oppression coloniale ». Les ports des tenues de couleur kaki, des casques blancs coloniaux, des chaînons, des fouets sont une inversion amenant à la satire. « Le fouet de l’esclavage et de l’assujettissement, utilisé par les descendants d’esclaves », incarne l’affirmation de la reconquête de soi et de sa destinée.

Mas, tradition et symboles

Dans la linguistique de la langue créole guadeloupéenne, le nom Mas « désigne à la fois le déguisement, la personne qui le porte, la musique et la danse, ainsi que la masse populaire qu’il représente ». Apparaissant lors du carnaval, le Mas n’est pourtant pas un déguisement.

Le Mas est avant tout là pour effrayer, déranger, interpeller, questionner et transmettre. « Il rappelle les différents ancêtres du peuple guadeloupéen », mais également les victimes des fléaux de l’Histoire : « Mas a roukou » (masque de roucou) revient sur le génocide des Indiens de la Caraïbe, « Mas a Kongo » (masque du Congo) ou « Mas a pay » (masque de paille) évoque l’origine africaine et la déportation.

Corps habité

Ainsi, le Mas définit “toute personne ou groupe défilant en marge du défilé officiel, dont la tenue, indissociable d’un fouet, fait souvent référence à un personnage de l’Histoire ou de l’imaginaire guadeloupéen. Le Mas désigne non seulement l’individu, mais sa tenue tout entière, au-delà d’un éventuel masque posé sur son visage. Le corps entier peut être peint, frotté (de suie), dissimulé par des artifices vestimentaires (miroirs, cornes) ou de simples feuillages naturels, pour le rendre méconnaissable, afin de donner vie à l’esprit incarné, au corps habité.”

L’utilisation de feuillages, selon Judith Bettelheim, « existe dans diverses régions de la zone subsaharienne, et de façon notoire chez les Mandingues de Gambie. Le fara-kankurang mandingue revêt un costume végétal lors des cérémonies de circoncision ». Il apparaît également lors « d’initiation à la vie adulte, de fertilité et les graves événements sociaux (conflits, sorcellerie, interdits) pour “enchanter” les divinités et les forces errantes (esprits ou ancêtres) considérées comme dangereuses. »

Mas, l’esprit incarné

Puisant dans les racines africaines liées aux masques cérémoniels, la pratique du Mas repose également sur un rituel. En principe, la personne qui devient Mas part dans la forêt se transformer et apparaît sans que personne ne sache qui se trouve sous l’apparat. Dans la tradition guadeloupéenne : « une personne rentre dans un Masque, se fait posséder par l’esprit du Masque et elle devient Masque. Elle a perdu sa personnalité », son identité. Il est « Mofwazé » c’est-à-dire transformé en Mas. « Mofwazé en Mas » c’est ainsi que les praticiens nomment le phénomène.

Le « Mas » ne sort jamais sans la présence de l’encens qui précède ses pas pour chasser les énergies négatives, un héritage du savoir mystique de l’Afrique. Un « Mas » devient réel lorsqu’il est habité par un humain. Un « Mas » n’est donc pas un déguisement carnavalesque, c’est une entité à part entière, dotée d’une essence et d’une force qui cohabitent et communiquent avec l’Homme.

Sources :

Patrimoine partagé et carnaval caribéen, Erudit.org, Lucie Pradel, Université des Antilles et de la Guyane

Informations sur les Mas et sur Voukoum, Potomitan.info

Stéphanie Mulot — chercheuse en sociologie

fwimusic

Le kankourang, masque d’initiation des Mandingues de la Sénégambie par Alphousseyni Diato SEYDI

voukoum.com

2 thoughts on “Carnaval : que représente le “Mas” dans le patrimoine guadeloupéen ?

  1. Merci pour ce récit sur le . Ainsi je sais davantage. Continuer à relayer l’histoire que nul colonisateur n’ont pas appris aux personnes concernées.

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